EDDA en prose 12 : La naissance de Loki et ses enfants monstrueux
Eh bien, écoute-moi bien, que je te narre ce sacré tourbillon d'une existence. On parle ici de Loki, le mioche indomptable des dieux vikings, le garnement qu'on peut pas laisser en paix deux secondes. C'était à une époque où chaque aube avait la saveur du brouet et de l'hydromel, et où chaque crépuscule peignait le tableau de sang et de sueur.
"L'enfer, c'est les autres", disait Sartre. Loki, c'est l'enfer et les autres réunis, un mélange détonnant. Venu de nulle part, le bougre, d'un père et d'une mère dont personne n'a jamais ouï le nom. Le Viking avec un bagout que même les plus roués des escrocs pourraient envier. Celui qui se glisse partout, qui batifole à droite à gauche, qui débarque là où tu t'y attends le moins.
Et ses mômes, les mioches de Loki! Des bêtes de foire, des terreurs, des cauchemars qui t'empêchent de fermer l'œil. Le colossal serpent de Midgard, le loup Fenrir, l'entre-deux Hel. On se gratte la tête pour comprendre comment un Viking aussi fourbe que Loki a pu engendrer un tel bestiaire de l'effroi.
Ces bestioles, elles ont trainé leur misère dans le cosmos des Vikings, semant la terreur et la désolation. Ils étaient les gosses de Loki, mais ils étaient aussi le reflet de ce que les Vikings redoutaient le plus : la trahison, l'artifice, la duplicité.
Alors quoi, tu me demandes où je veux en venir avec cette histoire de Vikings? Qu'est-ce qu'on doit tirer de ces horreurs crachées par l'astucieux Loki ? Je vais te le dire, mon vieux, et accroche-toi bien, ça va te secouer les tripes.
La morale, c'est que même dans le monde des Vikings, même chez les dieux, personne n'échappe à ses conneries. "La faute, c'est moi, oui, j'ai péché!", disait l'autre. Eh bien, ici, les fautes, c'est comme des mioches qu'on trimbale à la suite. Loki, le Viking retors, le truqueur, a enfanté des monstres qui ont foutu la pagaille partout. Et ça, c'est une facture bien salée à payer, tu trouves pas?
Donc oui, même si tu te prends pour un Viking, même si tu te sens fort et invincible, fais gaffe à ce que tu fous. Parce que tes conneries te colleront à la peau, elles seront tes enfants, et elles te hanteront jusqu'à ce que t'aies plus un souffle à donner. Voilà la vraie morale de l'histoire, tu vois le topo?
Et sur ces entrefaites, voilà qu'un skald déboule, un de ces poètes de comptoir, et se met à chanter une chansonnette. Il chante, il chante, le gars, et je vais te dire, ses paroles, elles ont du chien.
"Écoutez bien, vous tous, la geste du fripon Loki,
Né dans le froid, levé parmi les dieux,
Ses mômes, oh les mômes, créatures de l'effroi,
Dans les veines des Vikings, ils font couler le sang bleu
.
Fenrir, le loup, le grand, le terrible,
Mord la main qui l'a nourri,
Et la demi-morte Hel, elle érige son empire,
Au royaume des ombres, elle trône, assombrie.
Et puis il y a le serpent, le grand serpent de Midgard,
Qui s'étire, s'enroule, entoure notre monde,
Loki, Loki, l'astucieux, le farceur,
Voilà ce que tu as engendré, voilà ton affreuse ronde.
Mais écoutez bien, Vikings, écoutez cette morale,
On récolte ce que l'on sème, on paye pour nos entrailles,
Si tu craches du venin, attends-toi à la riposte,
Tes actes sont tes enfants, et ils te suivront à la poste.
Alors buvons maintenant, buvons à cette histoire
La leçon du fripon, Loki, dans sa sombre gloire,
Et rappelons-nous bien, quand vient le crépuscule,
Que même les dieux, oui, même les dieux ne sont pas à l'abri des embuscades."
Et là-dessus, le skald finit sa chanson, et tout le monde se tait, parce qu'il y a des fois, tu sais, où les mots, ils sont plus forts que les épées.