Manches courtes
Matière : coton
CFol rond
Visuel impression digitale
Dans la grisaille dense qui enveloppe le monde d'un drap lourd et sans fin, naissent des ombres, l'écho d'une légende ancienne. L'histoire hurle, glapit au creux de l'oreille des rares audacieux qui l'osent écouter. Dans ce murmure, on entend le nom des Ulfhednar, guerriers aux griffes acérées, les ombres féroces et affamées sous les ailes d'un Dieu aux contours oubliés.
On parle des Berserkers, oh oui, ces hommes-ours, aux yeux injectés de rage, louant Odin, se vautrant dans une fureur brute, animale, transformant le champ de bataille en un ballet sanguinolent. Mais là, dans l’entrelacement des ombres, d’autres figures se dessinent, d'autres noms se susurrent. Les Ulfhednar, ces êtres sauvages et écorchés, voués à un autre Dieu, un Dieu amputé, l'Ase-Manchot, Tyr, dont la main fut dévorée par le Loup mythique Fenrir.
Étranges sont leurs voies, mystérieuse leur allégeance. Ces hommes-loups portent l’habit du prédateur, la fourrure sombre et hirsute de la bête sylvestre. Un appel silencieux résonne dans leur marche, un écho des profondeurs des forêts anciennes, des montagnes où le vent chuchote des paroles d’outre-tombe. Ils sont le loup, ils sont la meute, la solidarité dans la férocité, le clan dans la morsure.
Dans leur bataille, point de fureur aveugle, point de charge désordonnée. Ils avancent, ombres discrètes, prêtes à fondre sur la proie, à l'arracher des griffes de la vie, à lui offrir la froide étreinte de la mort. Moins égocentriques que les Berserkers, les Ulfhednar dansent une danse mortelle, une chorégraphie de l'effroi. Embuscades, assauts rapides, ils arrachent la victoire de la gorge de l’ennemi, un morceau de chair sanglant et palpitant à la fois.
Contrairement aux Berserkers, ces furieux défenseurs de lignes, les Ulfhednar sont les harceleurs des ténèbres, les voleurs d’âmes, se mouvant par petits groupes, assaillant, mordant, repartant dans le brouillard d'où ils sont venus, laissant derrière eux le silence et le froid de la mort.
Dans le crépuscule des âges, là où le vent froid caresse les mégalithes, les Ulfhednar continuent à errer. Telles des chimères surgies des rêves les plus ténébreux, ils arpentent les plaines gelées, traversent les forêts aux arbres décharnés, sous la garde taciturne des cieux austères du Nord. On les voit peu, mais on les sent toujours, ces loups humains, ces ombres dans la froidure, une menace invisible, un présage de finitude.
Dans la pâleur d'un clair de lune, leur danse reprend, sauvage et implacable. L'acier s'entremêle, s'entrechoque, étincelle, découpe la noirceur comme un couteau effilé tranche la peau. Les cris s'élèvent, des hurlements de bêtes, des lamentations humaines, un chant discordant qui s’élève dans la voûte céleste, éveillant les étoiles endormies.
Et au lever de l’aurore, quand les ténèbres reculent, laissant place aux premières lueurs du jour, quand les cieux s’embrasent des feux de l’aube, les Ulfhednar disparaissent, s'évanouissent dans la lumière naissante, tels des spectres de la nuit. Les champs de bataille se taisent, maculés du sang des valeureux, des pleurs des vaincus. Seul le murmure des vents glacés rappelle la présence des guerriers-loups, échos lointains d’une férocité oubliée.
Mais dans les crevasses du monde, dans les interstices entre le rêve et la réalité, les Ulfhednar veillent toujours, prêts à reprendre leur danse macabre. Leurs yeux ardents guettent, scrutant les ténèbres, l’âme en feu, le cœur battant au rythme ancien de la Terre-Mère. Dans le grand théâtre du cosmos, leur rôle n'est jamais terminé, leur quête jamais achevée. Ils demeurent, silencieux et inébranlables, les gardiens de l’abîme, les chasseurs des ombres, l'épée et la griffe unies dans la farandole éternelle de la guerre.