Pendentif en alliage de zinc
Alors voilà, ce pendentif, cette saleté d'anneau enfermant l'Yggdrasil, l'arbre de vie des vieux contes. J'suis sûr que c'te breloque a dû passer entre mille doigts, au sein de la famille, des doigts calleux, des doigts fins, sales ou bien soignés. Elle avait ce vernis, cette usure que seul le temps, cette vieille carne, sait apposer. Combien d'histoires, d'histoires bien louches je dirais même, se seraient enchevêtrées dans ses branches, combien de mystères, de secrets bien tordus, se seraient fourrés profondément dans ses racines? Ah, que ne donnerais-je pas pour en entendre juste un bout, une bribe, un foutu chuchotement!
Et alors que je me perdais dans ces pensées, ce vieux schnock, le maître des runes, avec son allure d'épouvantail et son sourire édenté, se pointe comme par enchantement, sorti de nulle part.
"Tu veux savoir, hein, fiston?" qu'il me lance, avec sa voix rauque de fumeur invétéré. "Tu te tortures l'esprit avec ce bijou?"
Et moi, bête comme un âne, je hoche la tête, muet, captivé par le regard du vieux, qui scintille d'une malice et d'un savoir ancestraux.
Le vieux se rapproche, un peu trop à mon goût, sentant la sueur et le tabac séché, cette odeur forte des vieux boulons qui ont trop traîné dans la crasse du monde. Il prend le pendentif dans ses mains crochues, les veines saillantes comme des racines tortueuses, et le fixe comme s'il pouvait percer les énigmes du temps.
"Cette saloperie d'arbre," il commence, crachant à moitié, "l'Yggdrasil, il en a vu passer des tempêtes et des éclairs. Tu crois que c'est juste une babiole de famille? C'est l'âme des nôtres, tout ce qu'on a ramassé de joies, de peines, d'amours et de trahisons."
Il me regarde fixement, ses yeux noyés dans une brume lointaine, un océan d'histoires déchaînées. "Ton arrière-arrière-grand-père, le bougre, s'est battu pour ça, tu sais? Pas pour un morceau de métal, non, pour ce qu'il représente. C'était lors d'une sale guerre, où les hommes vendaient leurs âmes pour quelques bouts de terre et de fierté."
Je reste là, cloué sur place, buvant ses paroles comme un gosse avide de contes. Le vieux, tout en malice et en souvenirs, continue : "Et ta grand-mère, cette petite teigne, elle l'a caché pendant l'Occupation, craignant que ces salauds d'envahisseurs ne le dérobent. Elle le cachait sous sa langue, imagine! Chaque jour, risquant sa vie pour un bout d'histoire."
Il me rend le pendentif, le déposant dans ma main avec une douceur surprenante pour un vieux briscard comme lui. "Chaque sillon, chaque rayure, chaque tache, c'est l'histoire des nôtres. Alors, prends-en soin, mon gars. C'est pas juste un bout de métal, c'est notre âme, notre histoire, notre sang."
Et sans ajouter un mot, il tourne les talons, laissant derrière lui une traînée de mystères et de révélations, me laissant, moi, avec un poids bien plus lourd que je ne l'avais imaginé.